1923

Au lendemain de la révolution, Trotsky aborde les problèmes de la vie quotidienne : rapports travail/loisirs, condition des femmes, famille, gestion des équipements collectifs, logement, culture et cadre de vie...


Léon Trotsky

Les questions du mode de vie

QUESTION N°6

RÉPONSES

KAZAKOV. – Apparemment, on remarque un bouleversement dans la vie familiale, c'est-à-dire qu'on envisage plus simplement la vie de famille. Mais rien n'a fondamentalement changé, la famille n'a pas été soulagée de ses soucis quotidiens, et on y voit toujours une personne dominer les autres. les gens désirent mener une vie publique, mais lorsque ces désirs n'aboutissent pas en raison de difficultés familiales, cela entraine des disputes, des crises de neurasthénie, et si quelqu'un ne peut plus supporter cet état de choses, il quitte sa famille ou se torture jusqu'à en devenir lui-même neurasthénique.

KOBOZEV. – Il est indubitable que la révolution a apporté un grand changement dans la vie familiale et quotidienne de l'ouvrier. En particulier si le mari et la femme travaillent, cette dernière considère qu'elle est matériellement indépendante, et qu'elle a, les mêmes droits que son mari; d'autre part on voit disparaître les préjugés qui font du mari le chef de famille, etc. La famille patriarcale se disloque. La révolution a fait naître dans la famille ouvrière aussi bien que dans la famille paysanne un grand désir d'indépendance dès que l'on est assuré des bases matérielles de l'existence. Il me semble que c'est la ruine inévitable de l'ancienne structure familiale.

MARKOV. – La révolution a amené des transformations très importantes dans les conditions de vie. La pauvreté de l'industrie et de la république maintient encore un peu la famille, autrement elle serait complètement disloquée. Mais cette décomposition anarchique et mal dirigée risque de faire apparaître une série de phénomènes anormaux (prostitution, ivrognerie, délinquance, crânerie inutile, etc.) qu'il faut combattre au plus vite, autrement, il sera plus difficile de remettre dans le droit chemin les gens qui ont quitté leur famille.

KOROBITSYNE. – La révolution a apporté des transformations dans la vie familiale en ce sens que les maris boivent moins et qu'ils battent moins leur femme et leurs enfants.

KOLTSOV. – Ces problèmes ne sont abordés nulle part, comme si on cherchait à les éviter. Jusqu'à présent, je n'y ai jamais réfléchi... Ce sont aujourd'hui des problèmes nouveaux pour moi. Je considère qu'ils sont de la plus haute importance. Il importe qu'on les étudie. Il semble que c'est précisément pour ces raisons, indéterminées certes, qu'on ne fait pas état de ces problèmes dans la presse.

FINOVSKY. – C'est un fait que la révolution a apporté du nouveau dans la vie familiale de l'ouvrier. La ruine, la pénurie, la famine se sont abattues sur la famille et l'ont obligée à se regrouper, à économiser, à joindre les deux bouts; et c'est surtout la femme qui a souffert de ces difficultés. Je considère que sa situation s'est tellement détériorée que les discussions et les disputes incessantes sur ce sujet sont sans doute la raison pour laquelle l'ouvrier ne se décide pas à entrer au parti.
On suscite rarement des discussions sur ce thème, car elles touchent tout le monde de trop près... Selon moi, on les a jusqu'à présent évitées pour ne pas se faire de mauvais sang... Tout le monde comprend que l'unique moyen de s'en sortir, c'est que le gouvernement prenne totalement en charge l'éducation de tous les enfants d'ouvriers (sans les séparer de leurs parents), que la femme soit libérée de la cuisine, etc. Les communistes font régulièrement allusions cet avenir magnifique, ce qui leur permet de remettre à plus tard cette discussion épineuse.
Les ouvriers savent que dans la famille d'un communiste, ce problème est encore plus douloureux que chez eux. Si le mari est au parti, cela signifie qu'il ne fait pas le moindre effort pour aider sa famille (il n'a pas le temps, il est totalement pris par son travail, par des intérêts supérieurs), et sa femme doit trimer comme une bête de somme pour voir encore critiquée sa conduite non communiste qui brise le prestige de son mari.

ZAKHAROV. – Le problème de l'égalité de la femme et de l'homme est un problème d'actualité Là-dessus, les avis sont très divers. En principe, tout le monde s'accorde à reconnaître l'égalité de la femme, et puis on ajoute : mais, il y a la famille, les enfants, la ménage, etc.

KOULKOV. – La révolution a sans aucun doute apporté des transformations dans la façon d'envisager la famille, et même la libération de la femme. L'homme a l'habitude de se considérer comme le chef de famille. La femme, elle, s'occupe des ,enfants, de la vaisselle, du lavage. Il trouve le temps d'aller à des assemblées, à des conférences, de lire les journaux; et le voilà qui explique à sa femme ce qu'il faut faire, comment il faut élever les enfants, laver le linge, préparer le repas, ouvrir la fenêtre, comment se comporter vis-à-vis de la famille, des enfants, des camarades qui viennent les voir; puis il lui parle religion, il refuse de satisfaire ses exigences petites-bourgeoises, et comme leurs moyens ne leur permettent pas grand-chose, ils commencent à se disputer. De son côté, la femme manifeste aussi le désir d'être plus libre, de confier les enfants quelque part, d'être plus souvent en compagnie de son mari – ce qui amène des scènes de ménage et des scandales multiples. D'où divorce, remariage. Les communistes répondent à ce genre de questions que la famille, en particulier les disputes entre mari et femme, ce sont des affaires personnelles.

LAGOUTINE et KAZANSKI. – Lorsque la femme est suffisamment forte, ou bien lorsque la situation le lui permet, elle se révèle être un partisan actif et obstiné des idées et des rapports nouveaux. Tandis que l'homme, en tant que mari et père, occupe une situation tout à fait désavantageuse. On connaît des cas où des femmes communistes ont dû quitter le parti parce que leur mari exigeait qu'elles retournent "travailler au foyer, à la cuisine, s'occuper de leur époux". Pour la plupart des ouvriers, la femme, c'est la "baba". Le père raisonne souvent selon des critères anciens : si on ne bat pas les enfants, cela signifie qu'on leur lâche la bride. On bat donc les enfants, considérant que c'est une méthode d'éducation éprouvée et efficace.

ANTONOV. – L'ouvrier a un autre point de vue sur la vie familiale et sur la femme. Les femmes sont plus libérées, et dans ce domaine, on remarque quelques transformations importantes.
Il arrive souvent que ce ne soit pas les parents qui éduquent les enfants, mais les enfants qui instruisent leurs parents.
Pourquoi ce problème n'est-il pas abordé dans les journaux ? Je pense que si l'on décrit dans un journal la vie familiale des ouvriers, il faut pénétrer la psychologie des ouvriers de l'époque actuelle. Bien sûr, c'est un problème extrêmement complexe, difficile à aborder. Plus tard, cette situation changera, mais actuellement, il est plus facile à un journaliste d'évoquer des problèmes contemporains que de pénétrer la psychologie de l'ouvrier. C'est pourquoi il y a si peu d'articles de ce genre dans la presse.

MARKOV. – J'ai le pressentiment que des catastrophes terribles nous attendent, car nous avons mal compris le sens du mot "amour libre". Total – c'est l'amour libre qui a considérablement augmenté la natalité chez les communistes. Quand on a mobilisé les communistes, il a fallu que le comité d'usine prenne en charge près de deux mille enfants.
Si la guerre nous a légué un grand nombre d'invalides, l'amour libre nous menace de difficultés encore plus grandes. Et nous devons avouer que dans ce domaine nous n'avons rien fait pour que la masse ouvrière comprenne bien ce problème. Je reconnais sincèrement que si on nous pose cette question, nous ne sommes pas en mesure d'y répondre.

LIDAK. – Un problème épineux se pose à nous, auquel nous devons porter attention : la problème du prolétariat féminin. C'est particulièrement important pour les femmes qui ont une famille : chez elles, l'influence religieuse prédomine sur toute chose. Je pense qu'il faut que nous militions dans cette couche de la population; il faut remplacer l'Eglise par autre chose, mais nous n'avons rien d'autre. Si nous considérons, ne serait-ce qu'à Moscou, les clubs de quartier, il est rare que quelqu'un y pénètre; on n'y propose aucune activité qui satisfasse le mari aussi bien que la femme et les enfants. On y organise parfois des réunions officielles. C'est peut-être parce que nous sommes trop fatigués que nous organisons ces réunions à la va-vite. Pourtant, il faut bien que nous trouvions un moyen pour détourner les gens de l'Eglise et pour créer des centres culturels où non seulement le dimanche, mais aussi tous les soirs, le mari puisse venir se délasser avec sa femme. Alors, ils n'iront plus à l'église. Certaines personnes se distraient déjà en allant au jardin public, quand le prix de l'entrée est abordable.

DOROFEEV. – Certains ouvriers sont très peu liés à leur famille et considèrent que leur femme doit tout faire, tandis qu'ils vont ailleurs. C'est la même chose le dimanche. Et voilà d'où viennent les scènes de ménage. La femme hurle que le, mari la quitte même les jours de fête et- qu'elle est obligée de rester à la maison avec les enfants. On remarque ici un désir des femmes de se libérer. Elles reprochent souvent à leur mari le fait que d'autres femmes mettent leurs enfants à la crèche ou au jardin d'enfants, qu'elles ont plus de liberté, tandis qu'elles sont obligées de garder les enfants. Il existe donc vraiment chez les femmes un grand désir de liberté.

TSEILTLIN. – On ne parle nulle part du problème de la famille et du mariage, des rapports entre l'homme et la femme. Ce sont cependant ces problèmes qui intéressent les ouvriers et les ouvrières. Quand nous organisons des réunions sur ce thème, les ouvriers le savent et viennent en foule. Par ailleurs, la masse a l'impression que nous évitons de soulever ces questions, et c'est en fait ce qui semble se passer. Je sais que certains disent que le parti communiste n'a pas et ne peut pas avoir un point de vue défini sur ce sujet. Je connais des agitateurs qui répondent aux questions en se fondant sur les thèses de la camarade Kollontaï, mais ces thèses ne résolvent pas par exemple le problème de la responsabilité du père et de la mère vis-à-vis des enfants, ce qui fait que les enfants ont tendance à être livrés à eux-mêmes. C'est actuellement à Moscou un des problèmes les plus importants. Ces difficultés ne sont pas mises en lumière, et les ouvriers et les ouvrières qui soulèvent ces questions ne reçoivent pas de réponse.

BORISSOV. – En ce qui concerne le mode de vie ouvrier, je dois dire que celui-ci est extrêmement peu étudié, et ceci pour une raison toute simple : les problèmes que nous soulevons ici sont très difficiles à décrire. On préfère se contenter d'un article formel.

OSSIPOV. – Il faut avouer que le mode de vie n'a pris aucune forme particulière. Rien n'a changé et tout est resté comme avant. On s'est demandé ici pourquoi ces questions n'étaient pas abordées dans la presse. Mais la majorité des communistes les plus actifs qui écrivent dans les journaux sont trop occupés et peut-être qu'ils ne connaissent même pas leur famille. Ils s'en vont quand tout le monde dort et reviennent quand tout le monde est déjà couché; or, si l'on ne connaît pas sa propre famille, il est difficile de connaître celle des autres. C'est seulement dans des discussions à l'usine ou au comité d'usine qu'on peut apprendre quelque chose, par exemple quand quelqu'un vient se plaindre, qu'une femme vient dire que son mari l'a frappée, etc. Et je le répète, on n'en parle pas dans la presse parce que nous, les communistes, nous ne connaissons ni notre famille, ni celle des autres.
En fait, on ne met pas du tout l'accent sur le problème de la famille et des enfants. Moi-même, j'ai oublié tout ce que j'ai pu voir, et c'est seulement quand on me pose des questions que de vagues souvenirs me reviennent en mémoire et que je commence à lier les choses entre elles.

GORDEEV. – Si on examine la vie des communistes, on s'aperçoit qu'en fait la femme reste à la maison, tandis que son mari, communiste, court les assemblées. Les femmes des communistes sont très peu intégrées à l'activité sociale. Là situation est approximativement la même chez les ouvriers. Quand on soulève le problème du mode de vie ouvrier, ce sont les ouvrières qui s'y intéressent le plus. Elles parlent beaucoup des crèches, des restaurants communautaires, etc. Mais il faut dire qu'étant donné l'ensemble des conditions objectives et subjectives, nous n'avons pas fait grand-chose pour transformer le mode de vie. Chez les ouvriers communistes, on considère souvent que lorsque le mari se rend à une réunion, la femme doit rester à la maison. Quelquefois, cela mène au divorce. Le mari ne laisse pas sa femme aller à la réunion, alors que celle-ci veut absolument s'y rendre; d'où le divorce. Je connais deux cas de ce type. A une assemblée d'ouvriers, on a dit que dans notre secteur d'Orekhov-Zouïev, il y avait eu deux cas où le mari avait catégoriquement interdit à sa femme d'aller à une réunion, ce qui avait entraîné le divorce.

DOROFEEV. – La révolution a entraîné une dislocation de la famille. Beaucoup d'ouvriers mènent une vie dissipée et interprètent mal la liberté de pouvoir se séparer de leurs femmes. D'autres disent que la révolution a porté encore un autre coup à la famille. Même parmi les ouvriers responsables, nombreux sont ceux qui ont abandonné leur femme, la laissant parfois avec cinq enfants. Cela se produit très souvent. On ne s'en cache pas. On quitte aussi une femme communiste, même chez les gens haut placés. On ne soulève pas le problème en assemblée, mais on en parle dans les cercles du parti et on a l'impression que quelque chose va éclater.
A présent, pourquoi n'écrit-on aucun article, aucun feuilleton dans la presse, pourquoi ne met-on pas l'accent sur les problèmes de la vie familiale ? Parce que – un camarade l'a d'ailleurs fort bien dit – ce sont essentiellement d'anciens journalistes qui travaillent dans nos journaux, et qui ne connaissent pas la psychologie des ouvriers.
Dans ce domaine, ce sont surtout les sections de femmes qui doivent être actives, car ce sont les femmes qui souffrent le plus de ces bouleversements, surtout quand elles se retrouvent avec les enfants sur les bras. Il n'y a ni crèches, ni jardins d'enfants. Bien sûr, la femme communiste doit elle aussi faire la lessive, car c'est plus économique; d'ailleurs, elle ne donnera pas le linge à la laverie, car on l'abîme souvent avec des produits artificiels. Tant que nous serons dans une période de transition, tant que nous n'aurons ni crèches ni jardins d'enfants, tant que les femmes communistes devront faire la lessive, laver le plancher, car il leur est impossible d'éviter ces obligations domestiques, tant que les maris iront à des assemblées et liront le journal, les femmes n'évolueront pas. Mais quand tout sera bien organisé, les femmes n'auront plus à faire la lessive et pourront se rendre à des réunions.
On a organisé dans notre comité de quartier une conférence sur le thème : "la famille et le mariage". Nous avons fait appel à un conférencier, et nous lui avons demandé comment il allait présenter le problème. Il nous a répondu qu'il allait exposer "L'origine de la famille et du mariage" de Engels. "Et je ne dirai rien d'autre", a-t-il ajouté. Bien sûr, je ne dis pas que cela n'est pas bien, mais il aurait fallu tirer de cet article de Engels des conclusions appliquées à notre époque, et cela précisément, nous ne savons pas le faire. Cependant il s'agit là d'un problème d'une actualité extrême.
Quant au mariage, j'affirme que les communistes refusent absolument de se marier à des jeunes filles membres du komsomol, car, disent-ils, elles vont courir de réunion en réunion et n'auront jamais le temps de préparer le repas ni de laver le linge. Les communistes disent qu'ils préfèrent épouser des femmes sans parti qui restent à la maison, s'occupent des enfants et de l'entretien du logis. C'est là une opinion très répandue. Les communistes affirment que s'ils prennent une communiste pour femme, leurs enfants vont mourir et rien ne marchera dans la famille.

KOROBITSYNE. – Autrefois, le mari considérait sa femme comme une esclave. C'est la marque de l'histoire. Mais aujourd'hui, il la regarde tout de même un peu différemment. Autrefois, quand le mari avait bu, il lui arrivait de battre sa femme une fois, deux fois, trois fois par semaine; à présent, la vodka est prohibée. Mais si on cherche à savoir par quoi on l'a remplacée, je dirai – par rien du tout. Aujourd'hui, le mari cherche à se procurer de l'eau-de-vie maison, mais il bat moins souvent sa femme et la considère comme une citoyenne; celle-ci d'ailleurs se considère aussi comme telle et ne permet pas qu'on la batte.
A propos du mariage : on change facilement de femme, et cela se fait aussi chez les communistes. Il est inadmissible que certaines personnes mènent une vie totalement dissolue. Et je dis qu'il faut se pencher sérieusement sur ce problème, l'évoquer et l'envisager plus souvent dans la presse.
En fin de compte, il faut comprendre quelle attitude adopter vis-à-vis du mariage, vis-à-vis de la femme, et je n'ai jamais rien lu de semblable dans les journaux. Quoi qu'il en soit, nous devons nous intéresser à ces problèmes, les aborder de plus près, et faire progresser ne serait-ce que d'un degré le mode de vie du peuple russe.

ANTONOV. – Soulignons encore une transformation dans le mode de vie de l'ouvrier : il boit moins, il est beaucoup plus sobre, et puisqu'il est plus sobre, il est beaucoup plus clairvoyant.

BORISSOV. – La révolution a sans aucun doute apporté des transformations dans la vie familiale de l'ouvrier. Quelques camarades ont évoqué "la dislocation de la famille". Soulignons ici les faits les plus caractéristiques. Premièrement, dans une famille où le mari est devenu athée, la femme envoie en cachette les enfants à l'église ou devant le pope; l'enfant raconte innocemment à son père ce qu'il a fait et... il s'ensuit une énorme scène de ménage . "Imbécile, tu as vraiment trouvé chez qui mener le gosse, tu vas le détraquer complètement !" Deuxièmement, dans certaines familles, la femme se sent beaucoup plus indépendante, elle a des exigences envers son mari : "pourquoi n'as-tu pas acheté le journal", "ne cries pas en parlant aux enfants", "si tu continues, je te quitte, et vais gagner ma vie". Troisièmement, il y a quelquefois des discussions passionnées sur la religion, auxquelles participe toute la famille : tout le monde s'injurie, les rapports s'enveniment, etc. Quatrièmement, beaucoup de familles désirent mener une vie convenable jouir du bon air, de la propreté, d'un environnement agréable, etc.). Cinquièmement, l'ouvrier s'est mis à lire chez lui (je parle des ouvriers les moins cultivés). Sixièmement il en résulte une conscience extrêmement aiguë de son inculture, de son ignorance. Septièmement, les enfants des ouvriers qui ont la possibilité d'aller à l'école (au lycée, etc.) apportent un air nouveau dans la vie de leurs parents (on en est fier, on s'intéresse à leur travail). Huitièmement, il y a eu de grands changements dans les familles où les enfants vont à la crèche ou au jardin d'enfants; c'est quelque chose de tout à fait nouveau dans le mode de vie de l'ouvrier. Neuvièmement, les enfants sont la principale source de soucis dans la famille ouvrière (il faut les vêtir, les chausser, etc.). Dixièmement, on trouve des komsomols même dans les familles les plus traditionnelles; ici, la jeunesse entre en conflit avec les préjugés anciens. Onzièmement, il faut noter que quelques ouvriers élèvent des vaches, des chèvres, des cochons, qu'ils ont un jardin potager, etc., ce qui les attache plus fortement à leur foyer et les embourgeoise. A franchement parler, la possession d'une vache transforme le mode de vie du prolétaire et développe en lui un sentiment mesquin de propriété.
On n'évoque ces problèmes que dans deux endroits précis : parmi les ouvriers et dans leurs familles.
Il ne faut pas écrire des articles moralisateurs et édifiants, du genre – "Comment une femme a mené son fils de neuf ans se confesser devant le pope, en cachette de son mari", pour dire ensuite que cette femme est stupide et pour injurier le pope, etc., mais il faut écrire dans un langage sûr, dans le langage de la vie de tous les jours, et faire des remarques insignifiantes afin que cette femme (et il y en a des millions) n'ait pas honte, mais reconnaisse la stupidité de ses actes. Il est difficile (mais non impossible) de parler de la "vache de l'ouvrier", et de faire naître chez les ouvriers un intérêt non seulement vis-à-vis d'eux-mêmes, mais aussi vis-à-vis des autres. Cela est plus facile à dire qu'à écrire.


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